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L'enseignement de demain revu par l'introduction des technologies de l'information et de la communication.

Eléments de réflexion.

 

" Que sera le lycée de demain ?, Comment y sera dispensé l'enseignement...., quel sera le rôle des NTIC, quels changements cela va-t-il générer tant au niveau des élèves, que des profs, que des structures, que des contenus, que des méthodes d'enseignement ? Le rôle de l'enseignant du XXI siècle ? " Ces questions m'ont été récemment posées. J'ai commencé à élaborer ce texte qui, bien entendu, évoluera dans les temps à venir


1 - Cinq points d'entrée pour aborder ces questions

- Les types d'enseignement
- Les niveaux d'enseignement
- Les publics
- Le contexte
- les modèles pédagogiques

2 - Quelques observations de terrain

- Des ouvertures de base
- Des initiatives innovantes
- La disparition de l'établissement


3 - Quelques pistes de développement

- Un développement de la distance
- Un développement de l'autonomie
- Un développement de l'aide individualisée
- Un développement des supports nouveaux
- Des résistances psychologiques fortes
- Des formes d'établissements d'enseignement nouveaux


1 - Cinq points d'entrée pour aborder ces questions

- Les types d'enseignement

Suivant qu'il s'agit d'enseignements généraux ou techniques, qu'il s'agit d'apprentissages conceptuels ou factuels, les évolutions vont différer. La finalité de l'enseignement se traduit en premier lieu par des modalités d'évaluation qui essaient d'articuler les logiques d'enseignement et les logiques d'usage ultérieur. Ainsi un bac professionnel différera d'un bac général par l'importance accordée à la finalité professionnelle du premier. L'irruption récente du projet des travaux personnels encadrés dans l'enseignement général, nouveauté dont l'évaluation sera intégrée au baccalauréat, est un exemple de ce genre d'évolution tirée par une demande issue du monde de l'enseignement supérieur. Le colloque tenu par Edgar Morin en 1998 témoigne de la nécessité d'une évolution qui allie l'approche complexe des phénomènes, l'importance de la construction de la démarche scientifique, l'appui sur les technologies actuelles. Les réformes de l'enseignement technique et professionnel n'échappent pas à ce processus avec, de plus, la place grandissante que prennent les entreprises, depuis près de trente ans, dans l'évolution du système éducatif et de formation.

- Les niveaux d'enseignement

En fonction des niveaux d'enseignement et de la structure institutionnelle de ces enseignements, il y aura des variations très grandes. Ainsi suivant que les enseignements seront sous la responsabilité de l'état, ou du secteur privé, voir des entreprises elles-même, les initiatives en matières d'innovation seront différentes. En distinguant quatre grands niveaux d'études : fin d'études professionnelles courtes CAP/BEP, fin d'études professionnelles longues BTS, DUT et bientôt licence professionnelle, fin d'études générales courtes licences maîtrises, fin d'études générales longues DESS, DEA, thèse ou professionnelles Ingénieur, on peut repérer pour chacun de ces niveaux des logiques qui se distendent en premier lieu puis qui se rapprochent au fur et à mesure de l'entrée dans la vie professionnelle. Ainsi le développement des DESS a-t-il été le signe de l'adaptabilité de l'université aux problèmes de l'intégration des jeunes dans l'activité économique. L'introduction des technologies de l'information et de la communication renforcera dans les années à venir ce processus de professionnalisation des études, en particulier générales, d'une part et d'autres part elles permettront un développement plus viable de l'apprentissage tout au long de la vie comme le voulait l'esprit de la loi Delors sur la formation continue en 1971.

Enfin les modèles certificatifs risquant d'évoluer, ce sera aussi un paramètre important : diplômes, certificat d'établissement, compétences professionnelles référencées par les entreprises, sont des modes de sortie de la formation qui impliquent une plus ou moins grande souplesse dans le dispositif d'enseignement. L'adaptabilité souhaitée des systèmes de formation initiale continue s'appuie sur les nouveaux moyens technologiques. La flexibilité des personnels devra s'appuyer sur la flexibilité des systèmes d'enseignement et de formation. Les diplômes seront plus rapidement mis en place mais disparaîtront aussi plus vite.

- Les publics

La culture, les lieux, les compétences et niveaux des publics seront des paramètres importants pour rendre possible une appropriation des technologies d'enseignement. Face à des systèmes de plus mobiles d'emplois et de formation, l'adaptabilité des publics sera primordiale. Toutefois les changements culturels ne se font pas au rythme des changement technologiques. L'introduction des technologies nouvelles dans l'enseignement suppose une réflexion plus globale sur l'évolution des dispositifs d'enseignement et de formation. La crise récurrente du monde de l'enseignement est un bon révélateur des résistances à l'œuvre. La prise en compte de ces disparités d'évolution est la base de la cohésion sociale. Le risque serait grand d'accepter des discriminations sociales sur la base de l'appropriation de technologies nouvelles. Si le chemin qui s'ouvre semble prometteur, il faut se garder de toute projection arbitraire du devenir des publics face à ces évolutions qui entraînerait des mises à l'écart. Le système éducatif actuel est pris de front par cette question à laquelle pour l'instant il n'a pas de réponse. Il n'est d'ailleurs pas certain qu'il puisse en trouver sans une refonte complète de son identité et de sa place dans la société.

- Le contexte

Globalement, les contextes scolaires traditionnels (en lycée et surtout en enseignement supérieur) sont en cours d'évolution sous l'effet de l'introduction des TIC. D'importantes différences sont déjà perceptibles d'un contexte à l'autre. La privatisation progressive de la partie non obligatoire de la scolarisation est une réalité incontestable et parfois dérangeante. Si d'un coté des missions de service public sont assignées et financées à des organismes, il leur est désormais demandé d'augmenter leur moyens en utilisant des financements d'origine autre que celle de l'organisme de tutelle directe. Partenariat, sponsoring sont des termes qui apparaissent de plus en plus souvent dans les documents présentant les établissements.
Toutefois, dans le domaine des TIC, on remarque que la grande majorité des aides sont d'origine publique. En effet la faible rentabilité, voire les déficits, des initiatives de type enseignement à distance avec les TIC doit être compensée par des aides significatives. Que ce soit dans les établissements primaires et secondaires ou dans les établissements autres, on note une forte aide des pouvoirs publics. Malheureusement ces aides ne sont pas homogènes et les disparités entre départements, par exemple pour les collège, est extrêmement importante. En laissant l'initiative des financements d'investissement et de fonctionnement des TIC dans les établissements à la seule volonté des élus locaux, on développe d'un coté des disparités importantes, mais aussi, des choix catastrophiques en matière de type de matériel et d'implantation.
Au delà des moyens, les modèles d'enseignement spécifiques à chaque ordre d'enseignement sont en train de changer. C'est en particulier le collège qui est le plus remis en cause par le développement des TIC. Le contexte traditionnel d'organisation est très prégnant et les résistances au changement très fortes. Les libertés consenties dans les textes ne sont pas exploitées par les établissements, et les innovations restent souvent des activités en marge de l'école " normale ". En primaire, c'est plutôt la relation parent enseignant qui est un révélateur des tensions possibles autour de l'usage des TIC. D'un coté on entend des parents déplorer l'immobilisme des enseignants, d'un autre on découvre des enseignants obligés de justifier l'intégration des TIC jugées peu " scolaires " par certains parents. En lycée, les pesanteurs liées au système d'évaluation et de certification induisent une soumission des innovations avec les TIC à leur intégration dans le processus d'évaluation. Seule la classe de seconde échappe un peu à ce biais, mais elle reste encore soumise à des découpages, en particulier avec les options, qui permettent aux enseignements traditionnels de rester en place sans remise en cause.

- les modèles pédagogiques

De nombreux lieux d'enseignement réfléchissement à une évolution des modèles pédagogiques en place pour les faire évoluer en prenant en compte les potentialités des outils nouveaux. L'irruption des TIC dans le monde du travail et de la vie quotidienne de façon massive interroge les responsables éducatifs. Certains envisagent de proposer des modèles pédagogiques qui, à l'aide des différentes ressources technologiques, font évoluer l'habituelle " unité de lieu, unité de temps, unité d'action ", entre l'enseignant et le groupe d'élèves. Dans ces initiatives, de nombreuses pistes sont explorées de la mise à distance totale jusqu'à l'accompagnement scolaire en fin de journée, en passant par les options rares enseignées par vidéo-conférence. Cependant l'écueil rencontré dans ces expériences est celui de la maturité culturelle des projets. C'est à dire que ces dispositifs supposent une cohérence de tous, enseignants, élèves, institutions, autour du projet et que le passage d'un système à un autre suppose une maturation des représentations et des pratiques qu'il faut respecter si l'on veut éviter les retours en arrière trop violents.
Le développement d'un discours sur la transdisciplinarité, sur les apprentissages par projet de production, au travers des textes officiels semble indiquer que l'évolution est en cours. Les débats autour de la question enseigner/instruire/éduquer/former sont révélateurs des tensions inhérentes à ce type d'évolution.

2 - Quelques observations de terrain.

- Des ouvertures de base

Si l'on prend le modèle traditionnel d'enseignement en lycée et supérieur on peut schématiser les choses en disant qu'il se déroule en grande partie en face à face pédagogique avec des compléments sous forme soit de centre de documentation, soit sous forme de stages en milieu professionnel, le tout accompagné d'un travail personnel de l'élève avec éventuellement un accompagnement ou tutorat individualisé Les différentes initiative que l'on a pu observer visent à modifier ce schéma en prenant des axes différents, suivant les choix faits en matière d'introduction des TIC : développement de la formation sur lieu de travail ou de stage, multiplication des espaces d'autoformation dans les établissements, mise à distance systématique de toutes les situations de face à face pédagogique magistrales etc…

- Des initiatives innovantes

On peut dresser un tableau qui va de l'enrichissement de l'acte traditionnel jusqu'à la mise à distance technologique totale. Ainsi on a vu dans certains établissements développer la part de travail individuel tutoré ou non, au détriment de la part de face à face pédagogique traditionnel, en s'appuyant sur la mise à disposition d'espaces d'autoformation en réseau permettant une interaction avec les enseignants, entre autres. C'est particulièrement le choix effectué par les écoles d'ingénieur ou de commerce. Dans les établissements scolaires le choix se porte surtout sur la mise en place d'espace multimédia à disposition des initiatives des enseignants, et sur la mise en place d'options rares enseignées à distance. Quelques expérimentations visent à utiliser les technologies pour permettre une meilleure interaction entre les enseignants et les élèves " après la classe ", prenant ainsi en compte la question des " devoirs à la maison " comme prolongement de l'activité scolaire.

- La disparition de l'établissement

Dans d'autre établissements, c'est la présence au centre qui s'est réduite et donc les temps de travail en milieu de formation pour développer des temps d'apprentissage en milieu de travail ou au domicile. Il s'agit ici de rapprocher les apprentissages de leur finalité professionnelle. Le relais entre le milieu d'enseignement et le milieu professionnel est assuré par des outils de formation conçus en commun et mis à disposition en ligne ou sur supports dans l'entreprise elle même. L'apprenant se trouve alors dans une situation où il doit négocier avec son employeur des temps de formations inclus dans le temps de travail. Ce dernier point étant très difficile à faire adopter dans des logiques de productivité.
Pour d'autres établissement, la notion de centre d'enseignement a été éclaté au profit d'unités décentralisées en lien avec un central électronique. L'idée est de garder le groupe d'apprenant mais de dissocier la présence du formateur. Ce modèle considère que les interactions entre apprenants sont très mobilisatrices pour chacun des participants et que l'enseignant devient alors un apporteur ponctuel d'information ou d'aide dans un processus d'apprentissage qui est piloté par ceux qui apprennent.
Enfin des établissements n'ont plus aucune existence physique, au profit du travail à distance exclusif. Cette dernière formule semble avoir du succès dans le cadre de certains enseignements aux contenus ciblés, techniques et ponctuels. Par contre elle n'est que très peu accessible à des personnes dans des cursus longs de formation. La démobilisation est d'autant plus grande que le système ne permet pas d'interaction entre l'apprenant et l'ensemble des acteurs du système de formation. Pas de contact avec les enseignants, ni avec les autres apprenants, sont des écueils souvent invoqués. Par contre dans le cas de besoin bien identifiés et ponctuels, l'efficacité " industrielle " est avérée. Les modèles pédagogiques sont souvent fondés sur les modèles de l'enseignement programmé et l'ordinateur répond alors parfaitement aux besoins. La faible nécessité d'interaction avec le formateur, l'enseignant ou les autres apprenants permet une bonne appropriation des outils et une réelle efficacité de la formation.

3 - Quelques pistes de développement

- Un développement de la distance

Il semble que l'on assiste à une véritable mise en place de formation à distance pour l'enseignement secondaire et supérieur. Au delà des initiatives du CNED, déjà anciennes, de nombreuses initiatives privées sont en train de se structurer, en parallèle avec la privatisation d'une partie des structures traditionnelles d'enseignement (école supérieures privées au modèle nord américain) et avec les impératifs de rentabilité nouveaux de ces organismes.
Cette mise à distance ne se traduit pas dans du "tout ou rien", c'est à dire qu'il s'agit d'introduire de la distance entre le lieu d'enseignement et le lieu d'apprentissage de façon progressive et partielle. On pourra même envisager que le lien ne soit jamais interrompu dans une continuité formation initiale-formation continue. Ainsi certains centres de formation d'apprentis sont sollicités par les entreprises de leurs apprentis pour proposer des formations à leurs employés en postes (des exemples existent dans la vente et la distribution en cours d'expérimentation)
Par ailleurs le problème de l'enseignement à distance étant surtout un problème de capacité à apprendre dans de telles situations, il n'est pas simple de le généraliser, tant le modèle traditionnel d'enseignement reste prégnant dans les mentalités.

- Un développement de l'autonomie

Les nouveaux employeurs demandent adaptabilité et autonomie de la part de leurs employés. La réussite scolaire d'un jeune se traduit souvent par sa capacité à organiser son travail de façon autonome. De nombreux établissements d'enseignement auront tendance à renforcer cet aspest en proposant de plus en plus de situation d'autonomie permettant au jeune d'apprendre "par lui même", développant ainsi des capacités et des compétences demandées par le marché du travail.
Dans la pratique cela se traduit par des liens plus souples dans le temps et dans l'espace entre l'enseignant et l'apprenant. Liens par messagerie électronique, documents électroniques à télécharger ou à consulter, forums de discussion sont des outils qui permettront un développement de cette autonomie.

- Un développement de l'aide individualisée

L'éloignement physique dans l'enseignement est très difficile à assumer. C'est pourquoi les organismes d'enseignement à distance de même que les universités confrontées à des problèmes similaires ont mis en place des systèmes d'aides individualisées ou de tutorat. Au collectif rassurant du cours en amphi, en classe, on propose une relation P2P (person to person) qui rassure et qui s'inscrit d'ailleurs dans une tendance du comportement social relayé par les téléphones portables et autres outils individuels de communication. Par ailleurs, ce développement s'accompagne aussi par un modèle moderne de conception, d'ingénierie des dispositifs d'enseignement et de formation qui se fonde sur une personnalisation des parcours de formation. Chacun suit un parcours qui correspond à ses besoins. L'informatisation de la gestion de la formation, l'atomisation des modules (CD ROM, sites Internet, livres etc...) d'enseignement rendent possible cette évolution.

- Un développement des supports nouveaux

Les lieux d'enseignement se trouvent confrontés à une nouvelle donne en matière de support d'enseignement. Aux traditionnels poly, prises de notes, transparents, se substituent petit à petit des intranet, des applications d'enseignement assisté par ordinateur, des espaces d'apprentissage collectifs. Pour les enseignants comme pour les apprenants, la relation passe par de nouveaux moyens qu'il faut maîtriser. Les lieux d'enseignements se réorganisent en fonction de cela. Faire produire un CD ROM à un enseignant n'est pas tâche aisée car la représentation dominante est individuelle et non reproductible. L'enseignant se trouve dans une mutation culturelle à laquelle s'ajoute l'apparition d'une concurrence d'un secteur déréglementé connu actuellement sous l'appellation de "d'édition parascolaire" et qui évolue en terme "d'industrie du bien éducatif" selon les termes des spécialistes (Pierre Moeglin université de Villetaneuse, Elisabeth Fichez de
Lille 3)

- Des résistances psychologiques fortes

L'évolution de l'enseignement secondaire (lycée) et supérieur (BTS) contrairement à celui des secteurs moins réglementés (ESC, écoles d'Ingénieur), montre de sérieuses résistances à cette évolution. Les représentations mentales sont très ancrées et ont du mal à évoluer. La perte du lieu et du temps d'apprentissage comme unité visible se traduit par un sentiment de perte de "contrôle" de l'apprenant. Cette perte de contrôle revient aussi à une perte de légitimité qui se traduirait par une perte identitaire difficile à gérer. La tendance actuelle au discours sur la professionnalisation des enseignants est le signe que cette évolution est en cours (cf Perrenoud). Comme tout changement culturel, le temps est différent de celui du changement technologique... d'où un décalage actuellement déstabilisant, même s'il est encore peu perceptible dans l'enseignement classique.

- Des formes d'établissements d'enseignement nouveaux
Les arguments de la résistance au changement sont aussi liés à la structure organisationnelle des enseignements. Il y a des locaux, alors utilisons les, il y a des horaires, on ne peut pas les changer, il faut des moyens financiers, on ne les a pas. Cela signifie qu'au delà de la profession d'enseignant, ce sont surtout les structures des établissements d'enseignement qui pourraient être amenés à changer. On pourrait symboliser cela en disant qu'il se transformeront en passant de "espace d'enseignement" à "espace d'apprentissage" (cf Tardif). Autour du CDI, des espaces d'autoformation, de lieux virtuels d'enseignement à distance, des espaces de rencontre, de cours serviront moins souvent mais de manière plus ciblée. Ce n'est pas le cours traditionnel qui est mis en cause, mais son modèle quasi incontournable dans toutes les situations d'apprentissages, tel qu'on le connaît actuellement. Intranet, Internet sont deux des vecteurs techniques de cette évolution. L'ouverture du marché de l'éducation est le vecteur économique de cette évolution. La centration sur l'apprenant acteur/auteur de son apprentissage est le vecteur pédagogique de cette évolution