1 - Pratiques des enseignants
1.1 - Les non pratiques professionnelles
1.2 - Les pratiques péri scolaires
1.3 - Les pratiques hors classes
1.4 - Les pratiques en salle dédiée
1.5 - Les pratiques en classe
2 Pratiques personnelles des enseignants
2.1 Qu’appelle-t-on une pratique personnelle ?
2.2 Des pratiques pour s’approprier des compétences technologiques
2.3 Des pratiques au coeur de la vie de famille et de la vie personnelle
2.4 Des pratiques en tant que membre d’un groupe professionnel
2.5 Des pratiques au service de la classe et de son enseignement
3 Quelques éléments
significatifs de ces dernières années en matière
d’intégration des TIC dans l’enseignement
3.1 La politique de financement
3.2 La formation des enseignants
3.3 La place des pionniers et les innovateurs dans le système éducatif
4 Quelle nouvelle culture enseignante en cours de construction pour quelle formation ?
4.1 Une nouvelle culture
4.2 Quelle formation dans un tel contexte ?
5 Conclusion
L’introduction
des technologies de l’information et de la communication dans le système
éducatif s’est heurtée dès le début à la question de la formation des
enseignants. Diverses conceptions se sont affrontées, guidées tantôt par une
vision techniciste, tantôt par une vision pédagogique et didactique, tantôt par
une vision organisationnelle. Malgré de nombreux dispositifs mis en place au
cours des vingt dernières années, force est de constater que la formation est
toujours considérée comme « ce qui manque le plus » dans
l’intégration des TIC dans l’enseignement. Dans le même temps, l’informatique,
phénomène de société, a pris place dans l’inconscient collectif comme un outil
« allant de soi ». Les discours, en particulier médiatiques, sur la relation
de l’école avec ces outils montrent clairement que la question de leur adoption
par le système scolaire ne se pose même plus. Les pratiques dans les classes
témoignent cependant d’une distance plus grande de la part des enseignants avec
ces outils. Cette attitude, que certains assimilent à la culture
anti-technicienne d’une grande majorité des enseignants, doit cependant être
nuancée. L’image de l’enseignement qui a raté l’intégration de l’audiovisuel
avait permis de construire cette idée de méfiance, relayée par un fond
idéologique d’opposition à une « société du spectacle » issu des
années 60.
L’observation
quotidienne des enseignants, de leurs pratiques et de leurs attitudes, tant
dans les formations que dans leurs pratiques en classe ou à la maison semble
indiquer que les choses sont différentes. D’une part la méfiance traditionnelle
n’est plus de mise, d’autre part les pratiques personnelles se multiplient, et
enfin on constate une évolution réelle des mentalités des enseignants à l’égard
des pratiques des TIC au sein du système scolaire. Ce qui est particulièrement
intéressant dans cette évolution c’est que, pour une fois, la formation ne
s’opère pas seulement par les canaux traditionnels, mais qu’elle se développe
au travers d’un ensemble de moyens qui permettent d’assurer progressivement une
continuité entre des pratiques personnelles et familiales et des pratiques
professionnelles. A cela s’ajoute un autre phénomène qui mérite notre
attention, à savoir qu’au delà des pratiques scolaires intégrant les TIC, dont
on sait qu’elles sont très inégales tant sur le plan quantitatif que
qualitatif, il y a une mutation culturelle dans le monde des professionnels de
l’éducation qui, même si elle ne débouche pas sur des pratiques dans la classe,
se traduit par des prises de positions personnelles construites et argumentées.
On observe que l’intégration des TIC (ou la non intégration) dans la pratique
de l’enseignant est avant tout un choix responsable qui se veut en connaissance
de cause.
Pour
aborder plus avant ces observations, je proposerai d’abord d’observer les
pratiques actuelles des enseignants à l’égard des TIC au sein des
établissements, ensuite il sera question des pratiques personnelles, puis nous
évoquerons des prises de position et ses engagements, pour enfin montrer
quelques évolutions clés dans la culture enseignante qui permettent de penser
que se posent là les bases d’un futur du système éducatif.
Lorsque
l’on parle de « pratiques dans la classe », on parle en réalité de
pratiques au sein de l’établissement. En effet l’organisation matérielle et
géographique des établissements implique très souvent pour l’enseignant de
sortir de son lieu classe pour mettre en place les pratiques qu’il souhaite.
Utilisation du CDI, accès à la salle multimédia etc… sont des exemples très
souvent rencontrés qui impliquent que l’enseignant ne formate pas sa pratique
pédagogique à la taille de la classe dans laquelle il « fait cours ».
Cependant, pour ce qui est en particulier de l’enseignement secondaire, on note
que dans la très grande majorité des situations pédagogiques mises en œuvre,
l’unité de lieu l’unité de temps et celle d’action sont conservées dans cet
espace clos qu’est la salle de classe.
Par
ailleurs l’hétérogénéité des
enseignants amène à relativiser tout propos sur
les pratiques en général. D’une part les niveaux de
compétence sont extrêmement
divers, d’autre part, au-delà des statistiques et des
propos médiatiques, on
observe au sein des établissements des attitudes
extrêmement diverses.
Contrairement à ce que les statistiques
d’équipement tendent à faire croire
(100% des lycées connectés à Internet), on
s’aperçoit que les pratiques
possibles intégrant les TIC sont assez peu fréquentes. En
tout cas elles sont
suffisamment « exotiques » pour passer souvent
inaperçues pour le
visiteur. Lors des journées pédagogiques
organisées sur le thème des TIC,
l’observation des équipes permet de relativiser les
propos : entre
l’enthousiasme personnel constaté à l’issue
de la formation et les pratiques
professionnelles identifiées il y a un écart très
important.
Enfin,
il faut noter la faible quantité d’informations dont disposent les enseignants
aussi bien au sujet des TIC qu’au sujet des pratiques qui y sont liées. En
fait, il s’agit davantage d’un aveuglement partiel. Les informations sont
actuellement disponibles pour ceux qui veulent y accéder, mais il y a une forme
de refus conscient ou inconscient des réalités qui dépassent les perceptions
immédiates de proximité. Lors des regroupements en stage, par exemple, il est
courant d’entendre des enseignants dire combien ils apprécient les échanges
avec leurs collègues pour savoir comment ça se passe chez les autres. Bien
qu’il soit de plus en plus aisé d’aller chercher l’information, le monde de
l’enseignement à tendance à attendre qu’on la lui donne, surtout quand elle
sort de la sphère d’intérêt de proximité. On constate en particulier ce
phénomène dans les témoignages d’enseignants ayant des conjoints et des
contacts dans des milieux professionnels différents. Cette observation se
confirme largement lorsque l’on analyse la maîtrise documentaire et des
techniques de veille dans cette population.
En
commençant par ce type d’attitude, il n’est pas question de faire un procès.
Bien au contraire, il est plutôt question d’essayer de regarder de plus près ce
que signifient ces non pratiques. Si elles sont toutes regroupées sous le même
intitulé, c’est qu’elles se traduisent dans le quotidien par le seul signe
visible : la non utilisation du matériel. Entre l’enseignant qui n’utilise
pas les TIC car elles lui semblent inaccessibles eu égard au contexte de
travail (programmes, matériels, locaux, maintenance) et celui qui refuse
ouvertement d’engager quelque démarche que ce soit vis à vis de ces outils, il
y a un écart plus important qu’entre un praticien et un non-praticien.
-
L’attitude
de refus systématique s’appuie souvent sur un discours
idéologique. Masquant ou non une difficulté personnelle,
ce discours est
parfois accompagné d’une prise de position personnelle
d’ordre plus
psychologique : difficulté psychotechnique, age, mode de
pensée etc… En
général ce genre d’attitude n’est pas
négatif à l’égard de
l’intégration de
l’outil, mais elle interroge d’autres registres que
l’outil lui-même.
D’ailleurs dans les groupes au travail ce type de personne est
très souvent
constructif même sur les TIC. Leur questionnement pousse
l’ensemble des équipes
à aller plus loin dans leurs arguments et à mieux
structurer leur projet au-delà
des évidences. Toutefois, ces personnes sont parfois mises
rudement à l’écart
par quelques passionnés, ou se mettent d’elles-mêmes
en dehors des projets, ce
qui empêche leur regard divergent d’interroger les projets.
-
Les attitudes de découragement sont souvent les plus difficiles à
gérer. Elles oscillent entre le psychologique et le professionnel. Souvent
relayées par des phrases du genre « je n’y arriverai jamais », ou
encore, « les machines en panne c’est toujours pour moi », ces attitudes
tendent à renforcer la méfiance générale. Elles sont parfois tout à fait
fondées dans des lieux où les matériels sont très souvent déficients et où
l’accompagnement de proximité est inefficace. Le découragement professionnel
vient aussi de l’écart, pour ceux qui l’ont expérimenté, entre l’investissement
et le résultat pédagogique. Et cela s’accentue quand les élèves ont pris
l’ascendant sur la situation pédagogique, rendant ainsi la séance quasi
incontrôlable.
-
L’attitude
de refus « de confort » n’est pas
facilement identifiable. En
générale elle est habillée d’arguments
d’ordre idéologique, pédagogique ou même
philosophique. Elle est aussi l’attitude la plus destructrice
dans une équipe,
car elle renvoie les collègues à leur propre vision du
métier et donc à leur
propre capacité d’initiative. Dans un groupe la gestion de
ces attitudes et
particulièrement délicate. En fait, il semble que ce ne
soit pas dans l’école
que ce genre d’attitude se travaille mais en
périphérie voire totalement à
l’extérieur. Il est assez fréquent d’entendre
ce genre de personne évoquer leur
conjoint ou leurs enfants comme vecteurs de changement
d’attitude. On entend
aussi des témoignages de « traumatismes »
liés aux TIC.
Nous
avons pu observer depuis de nombreuses années l’existence
de
« clubs » ou
« d’ateliers » autour des TIC dans les
établissements scolaires. Ces activités qui ont lieu le
plus souvent sur des
temps de midi, sont souvent encadrées par des enseignants et
désormais souvent
relayées par des emplois jeunes. L’investissement
réalisé est essentiellement
éducatif. Il vise en général à promouvoir
dans l’établissement plusieurs
éléments : le matériel coûteux
installé, le désir des élèves, la passion
de quelques enseignants. Ces pratiques s’inscrivent dans une
tradition de
volontarisme que l’on rencontre plus souvent en milieux rural
(les élèves sont
souvent transportés de loin dans l’établissement
scolaire et y restent la
journée en fonction des transports en commun).
Ces
clubs et ateliers que l’on observe aussi bien en primaire qu’en collège (plus
rarement en lycée du fait de la liberté de mouvement des élèves) sont en
général centrés autour de deux activités : l’usage personnel d’outils
(EAO, bureautique, parfois Internet), la production de documents pour l’école
(journaux, sites Internet, signalétique, textes divers). L’implication des
enseignants se faisant sur la base du volontarisme, la dimension purement
scolaire est très marginalisée, même si elle revient parfois indirectement
(écriture, EAO).
On
rencontre dans certains établissements des initiatives de soutien scolaire
assisté par ordinateur. Dans ce cas précis, on se trouve à la frontière entre
deux logiques. L’initiative des enseignants ou de l’établissement au travers
les acteurs concernés (emplois jeunes, documentalistes, parents, volontaires
enseignants ou autres) est de promouvoir un projet qui articule instruction et
éducation. Ces pratiques sont parfois balisées par un objectif scolaire précis,
et entrent en lien avec le curriculum formel. Mais les projets s’appuient en
fait le plus sur des intentions qui se situent en dehors de ce curriculum
scolaire et qui sont plutôt orientées vers ce que les Canadiens appellent
« compétences de vie » ou encore que d’autres nomment compétences
sociales. L’intention éducative de ces pratiques s’inscrit alors dans des
logiques qui finalisent l’école autour de la dimension d’insertion sociale et
professionnelles
Tout
en acceptant l’intégration des TIC dans l’éducation, un certain nombre
d’enseignants cantonnent les pratiques des élèves comme les leurs en dehors de
l’espace classe. L’importance des TIC reconnue par les différents acteurs
de l’école se limite alors à un ensemble d’activités qui ne modifient en rien
les pratiques du temps scolaire formel. Du coté des élèves on relèvera aussi
bien les pratiques impulsées par les parents autour de l’angoisse de la
réussite scolaire que les pratiques de contournement qui consistent soit à
simuler le travail auprès des parents, soit à essayer de trouver dans les
ressources en ligne et hors ligne les moyens de se faciliter l’ensemble des
tâches demandées par l’école.
Du
coté des enseignants, ces pratiques sont devenues assez fréquentes (les taux
d’équipement des enseignants sont supérieurs de façon assez large aux autres
catégories socio-professionelles). Elles sont centrées autour de trois
activités : la messagerie, la recherche d’information de type
encyclopédique, la rencontre avec d’autres membre du groupe professionnel ou encore
d’autres personnes ayant les mêmes centres d’intérêt. Ces pratiques qui ne sont
pas forcément en lien avec la pratique scolaire contribuent à l’environnement
culturel que se constituent habituellement ces personnels. En effet le métier
d’enseignant articule fortement une pratique personnelle d’accès aux
connaissances et une pratique professionnelle d’enseignement. Dans le cas de
l’usage des TIC, il semble tout à fait logique que ces pratiques se
poursuivent.
Un
certain nombre d’établissements ont installé des
salles multimédia. Les
différentes formes prises par ces salles tant sur le plan
technique que sur le
plan topographique ont une influence très importante sur les
pratiques qui
peuvent être mises en œuvre. En premier lieu, le
déplacement que nécessite
l’accès à une salle spécialisée est
une contrainte qui est importante, surtout
lorsque l’accès à la salle nécessite une
procédure lourde (réservation etc…) et
que la salle est très demandée. En deuxième lieu
la configuration de la salle
et de son environnement (autres salles, documentation etc…)
peuvent rendre plus
ou moins souple la gestion du groupe dans l’activité
proposée. Ainsi s’il n’y a
pas possibilité d’être à deux ou trois
élèves par poste, ou s’il n’y a pas
possibilité
de travail sur table à coté des ordinateurs, les
modalités de travail vont s’en
trouver très contraintes. En troisième lieu il y a la
configuration des
matériels et logiciels en place qui peut être un
élément majeur. La stabilité
de l’informatique et la maintenance souvent aléatoire des
matériels sont des
éléments très dissuasifs pour des enseignants
n’ayant pas forcément une aisance
importante sur les matériels.
Les
enseignants ont souvent une image a priori positive de la salle dédiée car elle
reproduit le concept de la salle de classe. Au-delà des aléas organisationnels,
les pratiques pédagogiques qui sont alors possibles sont très souvent
considérées comme décevantes, ou tout au moins pas vraiment enrichissantes par
rapport à une situation traditionnelle. C’est en particulier le cas de
l’enseignement assisté par ordinateur qui, dans le monde scolaire, ne semble
pas donner satisfaction. Dans certains cas précis qui relèvent de diverses
pratiques on note l’expression de satisfactions vis à vis de ce type
d’implantation : la pratique de laboratoire de langue qui devenu multimédia
s’est enrichi de fonctionnalités pouvant être didactiquement
intéressantes ; les pratiques de projets par petits groupes dans lesquels
les élèves travaillent à l’aide des machines en vue soit de réaliser des
productions diverses, soit de réaliser des expérimentation ou des simulations
diverses.
La
salle dédiée s’inscrit plus globalement dans la politique d’établissement vis à
vis des TICE. En effet ce mode d’implantation des ordinateurs se fait dans un
cadre organisationnel qui nécessite au moins une décision au plus haut niveau
concernant l’affectation de locaux « spécialisés ». Les responsables
d’établissements sont bien évidemment très impliqué, même si parfois ils sont
contraints par les financeurs (conseils généraux et régionaux par exemple). Le
mode de prise de décision est extrêmement révélateur des implicites
pédagogiques et didactiques. L’observation de ce qu’il en advient ensuite dans
les pratiques quotidiennes est un bon indicateur du mode pilotage de
l’établissement tant sur le plan purement organisationnel que pédagogique.
Un
certain nombre d’enseignants disposent au sein même de la classe ou des classes
dans lesquelles ils sont avec les élèves de quelques ordinateurs occupant une
petite partie de l’espace et souvent en petit nombre. Ainsi les disciplines qui
intègrent l’ordinateur par l’EXAO (expérimentation assistée par ordinateur) ou
les enseignants qui travaillent par ateliers tournants (primaire, technologie
collège…) adoptent ce mode de travail.
Ces
pratiques pédagogiques impliquent des dispositifs d’enseignement qui
privilégient l’autonomie de l’élève soit individuellement si l’enseignant
personnalise son enseignement soit collective si l’enseignant favorise une
pédagogie de projet de groupe. La difficulté à laquelle s’affrontent les
enseignants est double : technique et pédagogique. Sur le plan technique,
l’enseignant est directement impliqué dans le fonctionnement du matériel qui
est rarement géré par une personne extérieure (contrairement aux salles
multimédias qui ont souvent un responsable). Ce dispositif suppose que
l’enseignant et aussi les élèves aient un niveau de compétence et d’autonomie
suffisant pour que la séance aille à son terme. Sur le plan pédagogique, la
gestion du groupe des élèves et la gestion de la progression pédagogique sont
modifiées. Le travail individualisé ou en petits groupes suppose que
l’enseignant maîtrise bien la relation interindividuelle (compétences
psychosociologiques) or dans les formes traditionnelles c’est davantage le
rapport à la classe entière qui reste prédominant. Pour ce qui est de la
progression pédagogique, ce n’est plus l’enseignant qui gère la progression et
son rythme, mais c’est lui qui fait en sorte que l’élève fasse bien la
progression attendue. Ce renversement que certains auteurs nomment un
changement de paradigme (enseignement/apprentissage), est une des plus
importantes difficultés qui ressortira en particulier lors de l’évaluation des
élèves. En effet les modalités traditionnelles d’évaluation (mémorisation,
exercice, restitution) s’appliquent mal et très partiellement à cette forme
d’apprentissage. Les tentatives récentes du ministère de l’éducation nationale
français d’instituer des espaces pour permettre des pratiques nouvelles (TPE
travaux croisés, PPCP etc…) ne sont pas sans provoquer des débats virulents en
particulier sur l’intérêt (rentabilité ?) pédagogique de ce type de
dispositif.
Dans cette deuxième partie nous allons nous attacher à identifier les pratiques personnelles d’enseignants que nous avons pu repérer au travers de leurs témoignages directes dans des stages ou au cours de rencontres dans leurs établissement ou en dehors ainsi qu’au travers de leurs témoignages indirects recueillis au travers de leurs propos dans les listes de diffusion ou dans différentes études que nous avons pu nous procurer.
L’appropriation des TIC dans le milieu enseignant est spécifique par le fait que les enseignants réalisent beaucoup de leur travail à leur domicile. Contrairement à d’autres milieux professionnels au sein desquels l’organisation gère complètement les outils et la formation des salariés à ces outils, le monde de l’enseignement a, particulièrement avec l’informatique, renvoyé les personnels à leur volontarisme en leur proposant des formations (en nombre insuffisant par rapport au nombre de personnels) et en ne les équipant pas personnellement et en mettant parfois quelques ordinateurs à disposition soit en salle des professeurs, soit même en leur proposant d’utiliser ceux pour l’enseignement en dehors des heures de cours. Dans ces conditions les enseignants qui depuis de nombreuses années se sont équipés à leur domicile, figurent parmi les professions les mieux équipées et les plus connectées à Internet à leur domicile. A la maison l’enseignant réalise un grand nombre d’activités en amont et en aval de son activité professionnelle, l’ordinateur vient prendre légitimement une place dans cet univers, qui comme d’autres professions sont en train de le découvrir, fait fusionner la vie professionnelle et la vie privée et familiale. L’ensemble des pratiques personnelles concerne aussi bien les deux aspects surtout s’inscrivent, selon nous, dans une dimension d’appropriation personnelle qui se traduit par le développement de compétences nouvelles et qui se lit dans les pratiques observables.
La
première remarque qui s’exprime au travers des propos des
enseignants concerne
la maîtrise technique de l’ordinateur. Il est très
difficile d’apprendre seul à
utiliser un ordinateur, surtout lorsque face à une
difficulté apparemment
incompréhensible on essaie de se référer à
la documentation disponible. Le
langage et la technicité de l’informatique sont peut
facilement accessibles
sans passer par des intermédiaires comme des livres de
vulgarisation, des
collègues amis ou parents, ou même des stages de
formation. En général c’est
une articulation de cet ensemble de moyens qui, plus ou moins
secrètement, est
mis en œuvre. La maîtrise de l’ordinateur se fait
progressivement et consiste
surtout à se constituer une représentation
« fiable » de l’outil,
permettant d’obtenir les résultats espérés.
Cependant, un sérieux écueil se
présente devant l’écran et concerne la lecture. En
effet nos observations
tendent à montrer que les enseignants cherchent davantage
à ce qu’on leur donne
la solution plutôt que de la chercher par eux-mêmes. En
effet lors des
formations en présentiel il est courant d’entendre des
questions sur des essais
effectués à la maison qui nous montrent que la personne
n’a pas lu ce qui est
écrit à l’écran. Le
« j’avais pas vu », bien souvent
compréhensible
en particulier avec les écrans Internet souvent
surchargés, qui se transforme
en « c’est évident » dès que
l’indication est donnée par quelqu’un
d’extérieur selon une modalité acceptable (cf.
paragraphe suivant), sont des
indicateurs de la modalité de développement des
compétences.
Faire
des gammes, tel le musicien n’a que peu de sens dans le monde de l’ordinateur.
En effet la pluralité d’usages et l’apparente simplicité voulue par les
concepteurs d’interface graphique incitent les utilisateurs à penser que
« c’est facile » comme le disent souvent ceux qui sont très aguerris
à ces outils et qui oublient souvent leurs tâtonnements de débutants. En
réalité l’appropriation des compétences à mettre en œuvre avec l’ordinateur et
ses différentes potentialités demande une longue maturation qui se voit au
travers des questions posées de façon récurrente dans de nombreuses listes de
diffusion d’enseignants. On s’aperçoit que la logique, loin d’être linéaire
s’inscrit bien dans la culture du « bricolage » qui parfois se
transforme en « bidouillage ». L’apprentissage se fait d’avantage par
puzzle, c’est à dire par construction d’un sens à partir de
« granules » qui peu à peu prennent sens.
Ce
qui est cependant caractéristique c’est que la peur exprimée par les
enseignants face à ces outils les amène à des comportements assez paradoxaux qui se situent entre la volonté de
« comprendre comment ça fonctionne avant d’utiliser » et
« l’impatience du résultat puisque ça doit être facile ».
L’apprentissage
à la maison suppose que l’environnement affectif proche interfère parfois de
manière vigoureuse avec cette trajectoire. On peut noter quelques traits assez
spécifiques autour de la relation avec les enfants, avec le conjoint, avec les
autres membres de la famille et les proches. Il est évidemment impossible de
généraliser ces attitudes, mais c’est leur caractère remarquable qu’il est
intéressant de noter car il témoigne de la façon dont la population des
enseignants est prise entre deux logiques qui parfois sont
conflictuelles : la logique de la famille et la logique du professionnel
de l’éducation. En d’autres termes, l’enseignant se comporte alternativement en
citoyen ou parent éducateur de ses enfants et alternativement en éducateur
aguerri des autres. Or le premier constat est que ces logiques sont
contradictoires dans les discours qui sont très aisément repérables au travers
des entretiens menés avec les enseignants.
Dans
la relation avec leurs enfants, les enseignants se comportent comme des
parents
souvent consuméristes. Ils font souvent l’acquisition de
ces outils
informatiques « pour l’avenir de leurs
enfants ». Par contre, il est
courant que la maîtrise de l’outil, tant sur le plan
technique sur la
géopolitique de l’usage de l’outil dans la maison,
soit dominée par les
enfants. Ils sont dans ce cas aussi bien médiateurs vis à
vis des technologies,
que dissuasifs quant aux compétences à venir du parent.
Les enfants ont beaucoup
de difficulté à apprendre à leurs parents. Leurs
interventions ont souvent
tendance à rejeter « l’ignorant ».
Par contre dès qu’ils s’éloignent
géographiquement, ils deviennent de puissants stimulants, si
l’on en croit en
particulier les récits sur l’usage de la messagerie
électronique dans les
relations familiales et amicales. On observe donc que le rôle des
enfants est
prépondérant dans la prise de conscience puis dans le
développement des
compétences TIC chez les enseignants.
Le
rôle du conjoint de l’enseignant est lui lié à la profession exercée par
celui-ci. Dans de nombreux cas le conjoint est celui qui montre qu’un autre
rapport aux technologies est possible. Dans les services, l’administration et
le commerce, les conjoints d’enseignants sont souvent concernés directement sur
leur lieu de travail par le développement des TIC. La relation à l’outil et au
travail étant vécu différemment que pour l’enseignant, il s’ensuit des échanges
qui amènent souvent l’enseignant à témoigner cette différence de point de vue
et à modifier sa propre pratique. Pour ce qui est de la co-formation, les
choses se passent un peu comme pour les enfants, avec cette nuance liée à la
perception de l’enjeu qui relativise le transfert en milieu scolaire. Quand
l’ordinateur est un outil qui modifie seulement la relation au travail et non
pas seulement la relation au monde, la sensibilisation est différente.
Dans
la relation avec les proches et le reste de la famille,
l’ordinateur est
souvent un objet de discussions. D’autant plus que les
médias sont très
pressants. En allant chez les amis, en recevant des proches, les
enseignants se
trouvent interrogés sur l’intérêt des TIC
dans l’enseignement. En tant
qu’acteur de la société à part
entière, ils sont amenés à prendre position sur
l’évolution de la place de l’information et de la
communication dans
l’éducation. La télévision, même si
elle a été limitée à son aspect distractif
reste un puissant levier pour interroger la population. La
médiatisation de
l’acte d’enseigner a amené aussi le débat sur
la place de l’ordinateur. C’est
pourquoi un certain nombre d’enseignants, marqués par
cette évolution et
conscients aussi qu’ils sont des médiateurs menacés
par ces outils se sont
engagés dans des démarches d’appropriation, parfois
très modestes, mais bien
réelles.
Les
pratiques personnelles en lien avec la sphère privée sont donc liées à une
réaction à l’environnement social identifié comme en mutation, mais pour lequel
la réaction doit en premier lieu se situer dans la vie privée. Cette
appropriation relève non seulement du conformisme mais bien d’une progressive
mutation de la représentation de la vie en société sous l’influence des TIC
omniprésentes.
Le
groupe professionnel des enseignants s’est en fait très rapidement rendu compte
de l’intérêt de ces outils. Les universitaires ont été les premiers à
comprendre que dans une logique de connaissance, l’entraide était
indispensable. Dans le monde scolaire les choses se présentent très
différemment. En effet la tradition d’individualisme liée à la forme d’exercice
de l’activité professionnelle (la classe) ne favorise pas du tout l’adoption de
ces outils qui font éclater, virtuellement, la forme scolaire. Cependant
au-delà de cette méfiance, on est étonné de voir la vivacité des pratiques et
des usages d’Internet par les enseignants actuellement. Si l’on explore les
sites personnels des enseignants d’une part, les listes de diffusion et les
forum et plus généralement les communautés qui se constituent à partir de
l’usage de ces outils on peut se poser de nombreuses questions sur ce que cela
signifie.
Au
travers des stages de formation d’enseignant, des rencontres et dialogues
personnels avec plusieurs d’entre eux, nous avons pu observer le développement
de comportements bien repérés dans d’autres circonstances. La collection et
l’observation sont deux caractéristiques très largement observables à coté d’un
comportement mutualisateur qui ne s’observe principalement que chez les enseignants
s’engageant dans une forme militante.
L’attitude de collectionneur de l’enseignant
est celle qui consiste à essayer d’obtenir le maximum de documents et de les
conserver chez soi pour éventuellement les réutiliser dans un travail
ultérieur. Cette pratique se fonde sur une habitude de travail personnel à
partir d’une documentation abondante qui devra être en permanence disponible
« à la maison », c’est à dire à proximité. Avec l’ordinateur on
identifie facilement ce comportement au travers l’achat et la copie de CD ROM,
et aussi au travers de la constitution de listes d’adresses Internet ou encore
l’impression sur papier d’un grand nombre de documents repérés sur Internet. La
demande à ce sujet est forte et l’observation des sites qui proposent ces services
et leur fréquentation montre qu’il y a là une véritable attente. Le coté
relativement négatif de cette pratique tient au fait que de nombreux documents
ne servent à rien, voire sont même critiqués largement amenant d’ailleurs
parfois à un rejet de ces informations.
L’attitude
d’observation consiste en cette attitude largement observée du taux de
participation aux espaces d’échanges collectifs qui sont proposés gratuitement
aux enseignants. Pour 1300 membres d’une communauté, il n’est pas rare de n’observer
que 100 à 150 participants actifs. Cette attitude est aussi assez bien connue
dans la formation des enseignants qui ont souvent de la retenue à se montrer en
public devant leurs pairs. Là encore la pratique quotidienne du métier
n’encourage pas l’ouverture pour montrer aux collègues. Le mode de
fonctionnement des établissements scolaires et plus généralement de
l’institution éducative a assez nettement verrouillé la parole de l’individu au
travers des entrelacs administratifs et réglementaires qui ne laissent passer
que la seule parole « autorisée ». Cette culture de la discrétion à
s’exprimer ne s’accompagne pas d’un refus d’observer ce que disent ceux qui
osent le faire. Largement présente dans la pratique quotidienne traditionnelle
cette attitude se retrouve bien évidemment sur Internet qui pourtant semble
offrir un levier supplémentaire du fait de la distance que l’interface
machinique procure à chacun.
Les
mutualisateurs sont donc assez peu nombreux et l’apparente richesse des
ressources présentes sur Internet ne doit pas tromper. En regard du nombre
d’établissements et d’enseignants, la proportion de mutualisateurs est très
faible. Ce sont souvent des militants pédagogiques qui ont une longue tradition
de travail collectif qui y voient des supports nouveaux et profitables. On
trouve aussi un certain nombre de personnes qui trouvent dans cet espace
public, si peu contrôlé, un lieu pour exprimer ce qui, bien au-delà du
militantisme, leur tient à cœur. Sur de tels supports toutes les dérives existent
dans l’enseignement comme ailleurs, pouvant confiner dans certains cas à
l’activité compulsive voire névrotique. L’activité de mutualisation est dans le
prolongement de la tradition des mouvements pédagogiques pour la rénovation du
système éducatif. Ce sont souvent des « pionniers » selon la
terminologie de l’innovation. Ils sont très généreux dans leur démarche et sont
aussi parfois extraits de leur milieu d’origine pour basculer dans une autre
activité professionnelle. Les entreprises qui œuvrent sur le marché éducatif
ont vite compris le parti qu’ils pouvaient tirer de ces personnes. Cependant
certains préférant rester dans leur corps d’origine ou tout au moins dans la
même logique institutionnelle préfèrent continuer leur activité de
mutualisation dans le même cadre. Parfois c’est leur institution d’origine qui
les appelle. Là encore on observe différentes trajectoires, mais dans ce cas,
il s’agit surtout d’une professionnalisation d’une fonction qui s’est d’abord
inscrite dans un cadre bénévole.
Les
pratiques dans le cadre de l’appartenance à un groupe professionnel sont donc
assez diverses et montrent que sans pour autant intégrer les TIC dans la
pratique de classe de nombreux enseignants l’intègrent réellement au service de
leur enseignement, mais en amont de leur activité en classe.
L’intégration
des TIC dans la pédagogie et la didactique n’est pas chose
simple. Si d’un coté
les moyens en place sont assez souvent considérés comme
insuffisants pour une
pratique pédagogique satisfaisante, la professionnalité
actuelle (possible et
voulue) des enseignants n’intègre que peu tant sur le plan
pédagogique que
didactique cette dimension si l’enseignant lui-même
n’y souscrit pas
volontairement. L’exemple le plus révélateur est
celui des enseignants de
mathématiques qui n’ont vraiment introduit
l’ordinateur dans leur enseignement
que lorsque celui-ci est devenu « obligatoire »
pour aborder
certaines notions qui auparavant se faisaient sans cet outil. On peut
aussi
observer ce qui se passe autour des CDI dans les collèges et les
lycées pour se
rendre compte que l’usage de ce lieu qui est souvent le premier
lieu équipé. En
effet la fréquentation reste très souvent située
en dehors du temps de cours, en
complément de celui-ci, et encore seulement pour les enseignants
qui
connaissent les potentialités du lieu. Les réactions
exprimées face à de
récentes réformes du lycée incitant à
intégrer tant l’accès à la documentation
que l’intégration des TIC par les élèves
montre que l’on est encore dans une
phase de démarrage.
On
distingue classiquement deux type de pratiques intégrant les TIC : l’une
pédagogique et l’autre didactique. Par ailleurs la question se pose de savoir
en quoi ces utilisations sont pertinentes ou non en regard des objectifs visés.
Dans un premier temps ce sont les pratiques pédagogiques qui ont été le plus
significatives. Travaux de groupes, travaux individualisés, projets de
productions etc… sont parmi les pratiques majoritaires. Dans un deuxième temps
ce sont les pratiques didactiques qui prennent place. Cette distinction est
cependant un peu artificielle dans de nombreux cas, mais elle est ici
opératoire. Les pratiques didactiques sont en train de se multiplier depuis que
les chercheurs des champs disciplinaires enseignés utilisent de plus en plus
couramment les TIC. L’exemple de la géographie est à ce sujet assez remarquable
en particulier pour tout ce qui concerne la lecture de paysage et le travail
cartographique. Peu à peu les différents groupes disciplinaires intègrent de
nouvelles dimensions, mais il est étonnant de lire assez peu de propos sur
l’intégration des TIC dans la didactique dans les listes de diffusion
disciplinaires.
La
forme scolaire traditionnelle reste fortement ancrée dans les esprits.
L’innovation dans le monde scolaire reste quelque chose de délicat et long. Les
modalités d’évaluation et de contrôle des enseignements et des savoirs restent
très centrées sur des méthodes n’intégrant pas les TIC. Par le fait les
enseignants en particulier dans les classes d’examen hésitent à mettre en place
des pratiques pédagogiques qui risqueraient de pénaliser les jeunes lors de la
certification. Il est nécessaire de lier évaluation et innovation en milieu
éducatif particulièrement.
Depuis 1997, date de l’impulsion pour introduire et généraliser Internet dans l’enseignement, on a pu observer comment se produisait l’intégration de cette volonté politique. Nous allons essayer de dégager certains faits qui nous paraissent devoir retenir l’attention et qui concernent la façon dont les enseignants s’approprient les TIC
Les
moyens financiers à mettre en œuvre pour intégrer les TIC doivent prendre en
compte de nombreuses composantes. Malheureusement la première approche qui est
observable sur le terrain est celle de l’équipement en matériel informatique,
connexion réseau et Internet. Or si seule cette dimension est prise en compte
on s’aperçoit rapidement et l’observation le confirme qu’il manque au moins
deux aspects, l’accompagnement financier en maintenance et logiciels, les
moyens du renouvellement progressif des parcs, les ressources humaines en maintenance
et formation.
Beaucoup
de collectivités territoriales désormais responsables des investissements TIC
dans les établissements scolaires ne prennent pas en compte l’ensemble du
problème. Cette attitude est à rapprocher d’un contexte plus général qui semble
montrer qu’il y a une très mauvaise coordination entre les différents secteurs
qui interviennent. Ainsi l’articulation entre la mise à disposition d’une
cellule ressource technique et pédagogique avec l’implantation des matériels
dans les établissements est souvent mauvaise. Cette absence de synchronisation
pèse énormément et les chefs d’établissement se trouvent pris entre la volonté
de répondre à une demande sociale très lourde et appuyée par le discours du
politique et la volonté de mettre en place raisonnablement les TIC dans les
établissements en essayant de mettre les équipes en projet.
Si
dans les statistiques officielles (d’ailleurs très imparfaites) on déclare que
100% des lycées sont équipés, la plupart des décideurs sont incapable de dresser
un état des lieux des usages. Quelques études parues sur le sujet sont
d’ailleurs assez révélatrices de cela et nos observations sur le terrain le
confirment. En réalité la politique de financement est avant tout une
incitation à faire, mais en aucun cas une stratégie globale incluant des moyens
financiers. Si dans certaines académies les articulations se font assez bien,
dans d’autres les enseignants se sentent très démunis.
Les
acteurs de la formation des enseignants qui œuvrent dans ce secteur depuis plus
de dix ans et qui ont observé les enseignants dans leur évolution face aux
technologies ont pu définir les
modalités spécifiques de la formation au TIC dans un contexte d’usage
pédagogique. Il est apparu qu’il était important d’articuler plusieurs
modalités allant du stage classique à l’accompagnement de terrain dans
l’établissement. Or on observe que le maillon institutionnel manquant est celui
de l’accompagnement en établissement. En fait plus largement les modifications
qui sont en trains d’apparaître du fait des pratiques actuelles montrent que
lentement se met en place une stratégie de réseau humain qui articule les
compétences locales, institutionnalisées ou non, et des ressources externes
soit sous forme de stage traditionnel mais de plus en plus sous forme
d’accompagnement à distance. La multiplication des « communautés
délocalisées d’enseignants » est très importante et les contenus des
ressources qui se partagent, souvent en dehors des circuits traditionnels,
montrent que nous avons affaire à un nouveau modèle formatif qui est pour
l’instant très informel mais qui est en train d’évoluer, en particulier du fait
des efforts importants dans la réflexion et l’expérimentation des formations
ouvertes et à distance (FOAD).
Pour
l’instant on peut considérer que la formation des enseignants n’a pas encore
pris en compte la réalité de ces pratiques, mais qu’une impulsion commence à
voir le jour. Elle est principalement le fait des associations qui sont en
train de se constituer, l’exemple de l’association des professeurs de
technologie en étant assez typique.
Les
initiatives au niveau des ministères et des académies ne sont pas absentes,
mais elles souffrent actuellement de leur distance avec le terrain. Elles sont
perçues très diversement par les enseignants qui parfois y voient soit une
parole officielle, soit une surveillance. Le CNDP pour sa part tente
d’accompagner assez largement ce mouvement, mais sa position institutionnelle
ne facilite pas toujours le travail des acteurs qui parfois œuvrent aussi bien
en son sein qu’en dehors.
La formation des enseignants est en train d’évoluer, nous venons de le montrer. Cependant les modèles nouveaux vont demander plusieurs années pour être validés aussi bien auprès des décideurs que des acteurs. Jusqu’à présent on peut noter que la période pionnière est en train de se terminer et que les acteurs sont en train de se resituer. Au sein des IUFM les choses évoluent et les débats sur la formation des enseignants sont en train de montrer que la formation technique qui a été dominante ne suffit plus. La poussée du pédagogique et du didactique oblige les formateurs aussi bien spécialisés TICE (à définir ?) que didactique doivent remettre à plat leur métier : peut-on imaginer des formation TIC sans un contexte pédagogique et peut-on former en didactique sans intégrer la dimension TIC ?
Comme
nous venons de le dire la place des pionniers est extrêmement importante dans
de telles mutations. De nombreux spécialistes de l’innovation montrent que leur
rôle est incontournable, mais qu’il faut parvenir à le diriger de façon à ce
qu’elle ne devienne pas un moyen pour l’acteur pionnier de s’isoler de la
communauté en créant son territoire.
Les
hésitations des pouvoirs sur cette question montrent bien que la chose est très
délicate : vaut-il mieux développer largement ou créer des îlots ?
L’observation de terrain montre que rien n’a été tranché. D’une part on a
essayé d’équiper partout les établissements, d’autre part on a laissé le champ
libre aux utilisateurs, ce qui, inévitablement, a amené un certain nombre de
« pionniers » à s’emparer de cet espace d’initiative. La mise en
place de structures pour relayer l’innovation semble apparemment un bon moyen
de ne pas laisser les pionniers seuls. Toutefois, avec la mise en réseau liée à
Internet, une partie des acteurs est devenue en partie incontrôlable. Les hésitations que l’on peut constater
montre que la situation est assez délicate. Si l’on veut privilégier la
responsabilité des acteurs et en même temps assurer une cohérence d’ensemble il
faut absolument créer des passerelles entre l’innovation et le politique. Le
schéma le plus simple est celui qui consiste à encadrer les initiatives dans
des lieux identifiés pour en tirer le bénéfice et en garder le contrôle. En
effet les initiatives pionnières en TIC comme en pédagogie se divisent en deux
grandes catégories : la première est l’œuvre à court terme de ceux qui
découvrant une nouvelle technologie s’en empare avec une force très importante
et veulent voir sa diffusion rapide. Celle-ci s’épuise en général assez vite et
laisse de nombreuses frustrations chez les acteurs qui voient dans le système
une machine trop lourde. La deuxième catégorie est celle qui regroupe les
militants qui inscrivent leur pratique dans un projet plus large, parce
qu’articulant par exemple pédagogie et TIC et situé dans la durée c’est à dire
ayant une certaine pérennité.
La
question des « militants » de l’innovation s’inscrit davantage dans
une politique globale des ressources humaines. Malheureusement, suivant le
système de gestion des carrières auquel on se réfère, on s’aperçoit que la
souplesse est rarement adaptée à ces évolutions. C’est en général en bordure de
l’institution que ces militants vont donc continuer d’opérer si on peut leur en
laisser la possibilité.
Au
cours des quatre dernières années on a bien senti que le système éducatif s’est
énormément méfié des nouveaux enthousiastes et qu’il a joué l’attentisme. Cette
politique a permis de voir émerger des initiatives dont il va revenir à
l’institution de les pérenniser tout en leur gardant leur caractère innovant.
Toutefois un nouvel acteur a pris une place plus importante que prévue :
le marché de l’éducation. Dans un contexte social un peu particulier les
industriels de l’éducation ont bien senti, en lien avec les industries des
technologies de l’information et de la communication, qu’il était possible de
contourner l’institution d’état en proposant des solutions basées sur le marché
et ils se sont tournés vers de nombreuses personnes enthousiastes nouvellement
arrivés dans ce champ. Ce nouvel acteur pose un défi aussi bien aux militants
qu’aux politiques dans la mesure où il dispose de moyens très importants et
probablement incontrôlables. Cependant comme ce nouvel acteur travaille souvent
dans le court terme et qu’il a avant tout des obligations de résultats
financiers, on sent qu’il est entrain d’opérer une mutation vers des marchés
solvables. Après avoir abordé la famille, il se tourne aussi davantage vers
l’enseignement et la formation hors système scolaire. Un certain nombre
d’acteurs très impliqués se sont lancés (il suffit de voir l’évolution actuelle
du marché de l’enseignement à distance pour le mesurer) et ils essaient ainsi
d’ouvrir de nouveaux chantiers que les pionniers prendront peut-être à leur
compte.
Dans le cadre du système éducatif traditionnel on observe une phase de stabilisation des initiatives. Le passage vers une lente banalisation est en train de se faire, le temps que les discours velléitaires s’estompent et que les arguments de fonds soient vraiment évalués.
A
partir de nos observations, on peut émettre l’hypothèse que la culture des
enseignants est en train d’évoluer du fait du développement des TIC. Afin de
permettre un débat et un approfondissement dans de prochains travaux de
recherche, nous allons affiner à partir de cette hypothèse générale un ensemble
de points qui pourraient eux aussi constituer des hypothèses de recherche.
Ensuite nous essaierons de comprendre comment la formation peut évoluer pour
répondre à cette nouvelle culture.
Un
ensemble de travaux récemment parus montrent que pour les jeunes, les TIC
appartiennent principalement au monde des loisirs, mais qu’elles rendent de
bons services pour l’activité scolaire. Ainsi on pourrait penser que dans un
terme proche, l’ordinateur et Internet subiraient le même sort que
l’audiovisuel à la fin des années 70. C’est oublier que plus généralement un
travail souterrain est engagé dans la société et que les enseignants, dans
leurs pratiques personnelles en particulier, ont pris en compte cette
dimension. Même si les chiffres sont moins spectaculaires en France que dans
des pays du Nord de l’Europe ou au Québec, on note que le mouvement est amorcé,
mais qu’il évolue plus lentement que certains ne l’espéraient.
La
première dimension qui apparaît dans ce tableau c’est l’appropriation
personnelle comme modalité principale d’intégration. En d’autres termes il
s’agit avant tout d’un changement d’ordre culturel qui par la suite rejaillira
sur l’ordre scolaire. L’erreur a probablement été de penser qu’il fallait aller
directement et seulement agir sur le scolaire. En fait les pratiques
professionnelles montrent bien qu’il y a un espace totalement étranger à
l’administration scolaire qui est le travail à la maison des enseignants. Cette
boite noire est en fait le creuset de cette nouvelle culture qui est en train
de se constituer. Dans ces pratiques personnelles se fabriquent en premier lieu
une mise en confiance et une prise de conscience. A la différence d’un savoir
diffusé sur papier, l’informatique introduit une nouvelle relation aux objets
au travers de l’écran. De plus la manipulation de cet écran est régit par des
règles que l’enseignant souhaite dominer personnellement. C’est pourquoi ce
passage est indispensable.
La
deuxième dimension de cette évolution culturelle c’est l’ouverture. Internet
après avoir fait peur se banalise. Pour ceux qui découvrent progressivement le
potentiel disponible cela représente un nouvelle fenêtre ouverte sur un univers
jusqu’à présent inaccessible aussi bien pour soi que pour sa pratique en
classe. Les enseignants sont en train progressivement de reconstruire leur
rapport au temps et à l’espace. Les référents sont en train de changer et il
est fort probable que cela va modifier des pratiques pédagogiques dans les
années à venir par ce fait même. La désynchronisation de l’acte d’enseigner est
en train de se produire lentement.
La
troisième dimension de cette évolution culturelle concerne la communication.
L’enseignant appartient désormais à un réseau communiquant. Si jusqu’à présent
les canaux de la communication étaient institutionnels ou commerciaux, ils
éclatent dès que l’enseignant aborde les contenus sur Internet. Certes pour
l’instant plus spectateur qu’acteur, l’incitation à appartenir à des
communautés est très forte. Le poids de la culture solitaire semble se lever
progressivement. Certes les choses vont lentement et nos expérimentations
menées cette année ont montré que l’attente de sollicitations est très
importante pour entrer en communication. L’enseignant ne va pas encore de lui-même
poser une question sur un forum ou par messagerie électronique. On note qu’en
fait derrière ces pratiques qui se mettent lentement en place ce n’est pas
seulement une culture de la communication qui est en jeu mais en réalité une
culture de l’apprentissage.
La quatrième dimension qui semble essentielle et qui permettra de bâtir de nouvelles pistes pour les formations à venir est celle de l’autoformation. Dans ce terme ne voyons pas la personne isolée qui apprend avec les seules ressources à distance. Voyons-y davantage ce qui est inscrit déjà, mais secrètement dans la pratique des enseignants, c’est à dire cette envie de « récupérer » pour soi une information pour améliorer son bricolage. Si jadis on osait à peine échanger ses préparations de cours dans la salle des professeurs, il devient de plus en plus aisé de dialoguer sur sa pratique au travers de travaux mis à disposition sur Internet à partir desquels on peut soi-même apporter sa propre touche. Cependant cette culture de l’autoformation a été enfouie dans l’inconscient car elle soulève aussi la question de l’utilité de l’enseignant. Si l’élève a aussi cette capacité d’autoformation ne serait-il pas fondé à refuser l’enseignement traditionnel ? Cette sourde inquiétude agitée d’ailleurs par de nombreux zélateurs des nouvelles technologies n’a trompé personne mais a généré une méfiance profonde, c’est pourquoi l’évolution qui se fait semble si lente.
Comme
nous avons pu le montrer plus haut, la question de la formation des enseignants
doit s’envisager dans la complexité et non pas sous le seul angle
organisationnel. La souplesse est le maître mot qui doit accompagner tout
dispositif nouveau. Cette souplesse ou flexibilité dans le langage de la
sociologie des organisations, peut aussi se voir sous l’angle de la proximité
et de l’adaptabilité.
Les
expériences que nous avons pu observer en formation initiale et continue des
enseignants et qui s’appuyaient sur des moyens à distance nous ont montré que
l’évolution se trouvait dans une nouvelle définition du territoire de la
formation. En fait, on pourrait même dire qu’il s’agirait de ne plus donner de
limite ni dans l’espace ni dans le temps entre ce qui est de la formation et ce
qui ne l’est pas. Le « management des connaissance » obtient un
certain succès dans le monde de l’entreprise. Dans le monde de l’enseignement
il faudrait probablement parler davantage de co-management des connaissances
pour définir ce que serait la formation des enseignants à avenir. Cela veut
dire qu’il est de plus en plus nécessaire d’impliquer les enseignants eux-mêmes
dans leur formation. D’ailleurs les communautés que l’on peut observer sur
Internet montrent que le modèle fonctionne, mais il n’est pas encore valorisé
dans le système actuel.
En
fait les fonctions formations vont
devoir se développer au sein même de l’établissement, non pas pour que celle-ci
soit faite seulement avec les ressources locales ce qui serait dangereux, mais
pour que la formation soit une préoccupation inscrite dans le quotidien de
l’organisation scolaire. La mise en route d’un dispositif de formation n’est
pas un moyen de se « reposer » comme on peut parfois l’entendre
lorsque l’enseignant part quelques jours faire un stage. C’est désormais un
processus qui s’articule sur des pratiques personnelles. Le terme
d’accompagnement est assez fréquemment employé pour que nous ne soyons pas
méfiant quant à son usage, mais nous pensons qu’il faudra envisager une
dimension que nous nommons d’accompagnement formatif des enseignants qui se
traduirait par un dispositif qui serait centré sur la trajectoire de
l’enseignant et non pas sur la seule offre de formation.
Il
est certain que les modalités actuelles vont être rapidement obsolètes si de
tels dispositifs se développent. Les ressources se mettent pour l’instant en
place dans un cadre flou, elles sont en phase de maturation.
On
voit actuellement se développer une grande activité des enseignants sur
Internet : listes de diffusion, sites web personnels, bulletins enligne,
communautés diverses. Les stages de formation aux TICE sont en train d’évoluer
d’une formation technique de base vers une véritable formation pédagogique.
Toutefois désormais cette formation ne se fait pas seulement en direction du
seul acte d’enseignement dans la classe mais elle s’oriente aussi vers ce qui
touche à l’identité professionnelle des enseignants. La préparation du cours,
la relation avec les collègues, l’échange d’outils, le débat sur la pratique
font partie des demandes qui se développent. Au-delà de la technologie qui a
trop longtemps été première, les enseignants sont en train d’entrer dans une
évolution culturelle. Après les politiques ou les journalistes, les
enseignants, passeurs ou médiateurs dans nos sociétés, sont désormais
conscients de leur rôle dans cette évolution même s’ils sont loin d’en
comprendre tous les enjeux, qui d’ailleurs sont encore relativement
inconnus.
Dès
à présent former les enseignants doit prendre en compte cette nouvelle réalité.
Même si pour l’instant ces éléments sont très épars et peu facile à organiser,
ils sont présents, sous jacents et invitent à repenser la profession dans les
années à venir
Bruno Devauchelle
Formateur Chercheur
Cepec
Bibliographie
Alter Norber, L’innovation ordinaire, Puf, Paris 2000
Baron Georges Louis, Bruillard Eric, L’informatique et ses usagers dans l’éducation, Puf Paris 1996
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Plantier Joëlle (sous la dir de), Comment enseigner, les dilemmes de la culture et de la pédagogie